samedi 11 avril 2009

Neurones miroir, CDZ et apprentissage par imitation.

Les neurones-miroir ?

Depuis une dizaine d'années on connait avec les travaux de Rizzolatti (Gallese, V., et al.1996) l'existence chez le macaque de neurones qui s'activent aussi bien quand le singe bouge que quand il voit quelqu'un bouger de manière similaire (cf Fig 1). On les a nommés neurones-miroir. On a pu aussi montrer par neuro-imagerie des résultats similaires chez l'Humain. Cette expression de neurones-miroir, très évocatrice a suscité un intérêt considérable : on y a - peut-être un peu vite - vu une base neuronale à l'imitation du sourire par exemple chez les nouveaux-nés, et la base de l'empathie par l'imitation des mimiques et des sentiments, et de l'amusante mimique des parents qui ouvrent la bouche en nourrissant les bébés à la cuillier. L'activité de ces neurones révèlerait une reconnaissance par une sorte de simulation chez l'observateur des gestes de l'acteur et même de ses intentions.




Figure 1.  A cytoarchitectonic map of the monkey cortex and an example of a mirror neuron.
Fig 1 : En haut : L'activation d'un neurone miroir (dans l'aire F5) est similaire quand le singe saisit un objet et quand il voit quelqu'un saisir l'objet. (Source Rizzolatti, et al. 2009).(Abbreviations: AI, inferior arcuate sulcus; AIP, anterior intraparietal area; AS, superior arcuate sulcus; C, central sulcus; FEF, frontal eye field; IO, inferior occipital sulcus; IP, inferior precentral sulcus; L, lateral sulcus; LIP, lateral intraparietal area; Lu, lunate sulcus; MIP, medial intraparietal area; P, principal sulcus; STS, superior temporal sulcus; VIP, ventral intraparietal area. © Rizzolatti G and Fabbri-Destro M (2008) Curr Opin Neurobiol 18: 179–184. Source : Rizzolati et al. (2009))

Ne pas confondre avec l'hypothèse du neurone-grand-mère

Il ne faut pas confondre les neurones-miroir et l'hypothèse ironiquement décrite par l'expression du "neurone de la grand-mère" où il y aurait un neurone par item mémorisé. Et il y aurait le nuerrone qui représente la grand-mère et un autre pour le grand-père, etc. L'hypothèse dominante est plutôt connexionniste : que ce sont des circuits neuronaux qui codent la mémoire. Sans la remettre en question fondamentalement il me semble, un article récent (Quiroga, R. Quian, et al. 2005) conteste un peu cette hypothèse : on a trouvé -chez l'homme - des neurones qui s'activent quand on voit un personnage connu (Clinton, les Beatles, les Simpson's ou Jennifer Aniston ) même représentés très différemment, mais ne s'activent pas ou très peu pour d'autres personnes sous les mêmes angles ou d'autres objets connus.

gf
Fig 3 : Un neurone de l'hippocampe qui réagit spécifiquement à des images de Jennifer Aniston (N° 4, 5, et 28-32 ) sous différents angles mais pas aux autres images (source) .

Il ne semble pas que cela remette fondamentalement en question le modèle connexionniste, mais c'est bigrement fascinant !

Plutôt des convergence–divergence zones' (CDZs) que des miroirs pour Damasio

Damasio (2008) proposait il y a une vingtaine d'années un modèle qui expliquerait ces données : plutôt que des aires-miroir il y aurait des 'convergence–divergence zones' (CDZs). Ces aires neuronales reçoivent des informations de plusieurs sources (convergence) et envoient des informations vers ces sources (divergence) . On sait en effet que les influx nerveux vont aussi vers les organes sensoriels, et pas seulement vers les centres depuis les sens.
Des zone CDZ rassembleraient des informations de diverses origines dont le motif particulier de stimulation simultanée identifierait une personne, une instance particulière de mémoire comme la photo de son propre mariage etc. Et cela reposerairt sur la réactivation des aires correspondantes
Ainsi, pour Damasio et Meyer, le bruit d'une cacahouète réactiverait dans les mêmes proportions les mêmes voies que celles activées lorsque le singe ouvrait l'arachide lui-même. Et les neurones de la CDZ ne seraient pas tant des miroirs que des marionnettistes qui commandent par ces ficelles que seraient les neurones divergents.

Behind the looking-glass
Fig 2 : Source D. PARKINS in Damasio, A., et al. (2008).

Cette vision plus active de ces neurones rend plus facile à comprendre comment on passe de l'observation à l'action et vice versa, alors que la métaphore du miroir est bien statique.
Les métaphores peuvent être évocatrices mais aussi contraindre ce qu'on arrive à imaginer.

Le mécanisme-miroir solidement étayé selon Rizzolati

Rizzolatti étaye son propos dans un article très complet que je vais juste effleurer (Rizzolatti, et al. 2009 intranet.pdf) de nombreuses expériences récentes. Il identifie(Cf figure 4) les aires homologues chez l'homme des aires miroirs chez le macaque.
En s'appuyant sur des expériences d'IRMf où la réponse de ces zones miroir est plus forte quand l'intention de l'acteur est explicite, il montre que ces aires réagissent à l'intention de mouvement perçue plus qu'au mouvement lui-même. Les données sont suffisantes dit-il pour fournir un nouveau cadre explicatif de nombreuses pathologies et pour proposer des thérapies. Par exemple il montre des données qui suggèrent que l'autisme est lié à un déficit de ces mécanismes, ou que la réhabilitation motrice après un accident vasculaire cérébral serait mieux expliquée si l'on prend en compte l'effet de ces neurones-miroirs.

Figure 3.  The parietofrontal mirror system in humans.
Figure 4 : l'aire 44 serait l'homologue de la F5 chez le macaque. (source Rizzolatti, et al. (2009) ) Abbreviations: C, central sulcus; FEF, frontal eye field; IF, inferior frontal sulcus; IP, inferior precentral sulcus; PMd, dorsal premotor cortex; PMv, ventral premotor cortex; PrePMd, pre-dorsal premotor cortex; SF, superior frontal sulcus; SP, upper part of the superior precentral sulcus. Permission obtained from Elsevier Ltd © Rizzolatti G and Fabbri-Destro M (2008) Curr Opin Neurobiol 18: 179–184.


Selon Rizzolati les points-clé sont :

* Le mécanisme miroir est un système neural qui unifie la perception et l'exécution des actions
* Le mécanisme miroir est organisé en deux principaux réseaux corticaux, le premier est formé du lobe pariétal et du cortex prémoteur, le second, réside dans l'insula et le cortex antérieur cingulaire.
* Le rôle du mécanisme miroir est de fournir une compréhension directe des actions et emotions des autres sans médiation cognitive de haut niveau.[...]
* Un développement limité du mécanisme miroir semble déterminer certains des aspects centraux de l'autisme.
* Des protocoles de traitement basé sur l'action et l'observation pourraient être des stratégies de réhabilitation pour traiter les déficits moteurs après un accident vasculaire cérébral.

Le débat n'est pas clos. Est-ce grave ?

Sans pouvoir trancher entre Damasio et Rizzolati dans ce débat de spécialistes, il nous reste un fascinant mécanisme (miroir ou CDZ c'est égal... dans un premier temps). Nous pouvons probablement déjà mieux comprendre certains comportements avec une hypothèse qui les englobe les deux et vivre avec cette incertitude est le prix a payer pour une discipline qui est si dynamique notamment avec ce grand mouvement de développement des neurosciences ... !
Et passer d'une collection d'aires et de zones du système nerveux qu'il fallait apprendre par coeur à ces mécanismes d'imitation probables contribue à donner un sens aux apprentissages.

L'imitation comme modèle pédagogique ?

Ainsi le prof de gym qui fait une démonstration d'un mouvement est sans doute bien secondé par ce mécanisme neuronal remarquable pour aider à apprendre, par l'imitation.
Malheureusement ce mécanisme miroir n'aide pas forcément lorsqu'on démontre un théorème, ou lorsqu'on explique la méthode Sanger de séquençage...

Tous les enseignants ont-ils bien conscience de cette différence ?

Sources

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