lundi 20 avril 2009

L' amour, poésie ou molécules ?

Being HumanLove: Neuroscience reveals all
Fig 1 : L'amour est poétique ?Source : G. BECKER
Alors que le printemps explose dans nos contrées, que les oiseaux affichent leurs parades nuptiales, que dans la cour des écoles les élèves s'affichent tendrement enlacés... la question des bases biologiques de l'amour récemment découvertes vaut bien le détour...
Fig 1 : Combat ritualisés chez des foulques mâles, Calopteryx mâle défendant son territoire (une clairière), parade nuptiale chez les tritons alpestre (notez le mouvement de la queue du mâle à gauche), cygnes dans le soleil couchant : image romantique franchement anthropomorphique. (Photos F.Lombard)

Les neurosciences apportent de nouvelles données sur les liens entre l'ocytocine, les gènes et l'activation de certaines zones du cerveau !

Dans un Essay dans Nature, Young, Larry J., (2009) - spécialiste de la question - évoque ce qu'on sait sur les mécanismes de l'amour chez les humains. Que les recherches puissent expliquer l'amour par l'action de certaines molécules et l'activité de certains neurones, n'est pas forcément romantique, mais peut aider à comprendre l'un des moteurs de l'activité humaine, la sexualité. Il pourrait en résulter selon Young des substances destinées à augmenter ou réduire l'amour entre humains.

Le désir et le coup de foudre

Il faut d'abord distinguer l'attirance sexuelle de l'attachement durable dont les mécanisme sont différents semble-il .


Fig 2: Le circuit du plaisir active la libération de dopamine. Source : Dubuc, Bruno.(2008)

L'attirance sexuelle est liée à l'activité des centres du plaisir cf Le cerveau à tous les niveaux et notamment aux voies dopaminergiques (=les neurones qui utilisent la dopamine comme neurotransmetteur) du circuit de la récompense. "Le plaisir est le moyen mis au point par l’évolution pour nous inciter à manger, à trouver un partenaire sexuel, à se protéger du froid, etc. " Dubuc, Bruno.(2008). On peut actuellement assez bien décrire les mécanismes neuronaux qui s'activent lors du "coup de foudre" (cf par exemple Peyrières, C., (2005) dans Science et Vie junior 192 septembre 2005 qui est bien illustré et accessible pour les ados) et comment la dopamine augmente dans les phases initiales de l'amour.... et baisse lors de la rupture. Extraits intranet : Amour Naissant, Accro , Largué

Figure 3: Les aires activées par la vue de l'être aimé (source Bartels & Zeki 2000)

L'attachement maternel et de couple : mêmes bases neurochimiques ?

Par contre on savait depuis pas mal de temps que l'attachement de couple et parental est lié chez plusieurs mammifères à l'ocytocine pour les femelles et à la vasopressine chez les mâles. Selon Olivier Postel-Vinay (2004) le lien entre l'attachement et l'ocytocine chez la femelle et avec la vasopressine chez le mâle est bien établi. Et chez l'homme sans doute aussi.

"Deux neurotransmetteurs, l'ocytocine et la vasopressine, jouent un rôle déterminant dans le réglage de ces conduites. Le lien maternel, le lien paternel et le lien filial dépendent non moins directement de ces deux peptides et des aires du cerveau dans lesquelles ils s'expriment. Or, ces mécanismes se retrouvent à des degrés divers chez d'autres mammifères. Ils sont même impliqués chez l'homme, comme en témoignent des études par imagerie cérébrale." (Postel-Vinay, Olivier. 2004)

L'ocytocine au féminin

Young montre comment l'ocytocine libérée lors de l'accouchement détermine l'attachement maternel au nouveau-né : une injection d'ocytocine a une brebis produit un attachement rapide à un agneau étranger. L'ocytocine libérée lors de l'accouplement chez certains campagnols des plaines du Middle West (Microtus ochrogaster) stimule l'attachement durable. Si on infuse le cerveau d'une femelle de cette espèce avec de l'ocytocine, elle s'attache au mâle le plus proche et cela active le circuit de la récompense à dopamine. La neuro-imagerie (cf figure 3 et 4 ci-contre ) confirme un très grande similitude de ces mécanismes chez l'humain : Bartels A, Zeki S., (2000) montrent combien l'attachement parental et en couple activent des aires similaires.

La vasopressine au masculin

Selon Young, chez les mâles, on observe des circuits très similaires mais impliquant la vasopressine (par ailleurs une hormone antidiurétique) : cette hormone active la cour, l'agression envers d'autres mâles, et les instincts paternels tels que s'occuper des petits dans le nid. Et l'attachement dans le couple. Par exemple, en activant l'expression d'un seul gène des chercheurs menés par Young (Lim, M. et al. (2004)) ont rendu fidèle les mâles d'une autre espèce de campagnols, Microtus pennsylvanicus, qui sont normalement volages "We show that a change in the expression of a single gene [...]can profoundly alter social behaviour, providing a potential molecular mechanism for the rapid evolution of complex social behaviour."

Une perspective évolutionniste du couple

Selon Young, le découplage de la sexualité et de la reproduction chez la femme aurait permis le recyclage du mécanisme d'attachement parental comme attachement dans le couple. En effet la stimulation des zones érogènes comme les mamelons et le col de l'utérus produisent de l'ocytocine dans le cerveau et pourraient renforcer le lien de couple. Cela donne du poids à une hypothèse avancée y a longtemps par Desmond Morris, selon laquelle le développement de la poitrine féminine au-delà du nécessaire pour la lactation contribuerait à pérenniser la présence du mâle nécessaire à élever les petits humains, qui restent très longtemps dépendants.
"La femelle du chimpanzé possède une poitrine plate en temps normal qui ne gonfle que dans les moments où elle allaite. Et la plupart des animaux fonctionnent de la même manière. La femme est le seul primate dont la poitrine demeure proéminente pendant près de cinquante ans. Les seins provoquent un stimulus érotique très puissant et c'est une erreur de vouloir les cantonner dans un rôle purement alimentaire. " source

Les apports de la Bio-informatique en classe.

Chez les campagnols, une région régulatrice (avpr1) du gène pour le récepteur à la Vasopressine prédit la probabilité d'un mâle à s'attacher à une femelle. Chez l'humain on a cherché et trouvé un gène homologue : AVPR1A : les hommes porteurs d'une variante de ce gène sont 2 fois plus enclins a rester célibataires, et si ils sont mariés, 2 fois plus enclins à déclarer une crise récente dans leur mariage. Leurs épouses déclarent aussi plus d'insatisfactions dans la relation. Or le polymorphisme de ce gène (laquelle des variantes l'individu possède) détermine la quantité de récepteurs à la vasopressine dans l'encéphale.
Or nous avons accès en classe à une information très riche et de qualité grâce à SwissProt:










Figure 4 : les aires désactivées par la vue de l'être aimé (source Bartels & Zeki 2000)

L'amour désactive le jugement ?

L'IRMf a permis à Bartels A, Zeki S., (2000) de l'UniZH de mettre en évidence les zones activées et désactivées par la vue de l'être aimé : ils mettent en évidence la similitude des (in)activations causées par la vue de l'enfant par une mère et du partenaire amoureux plutôt qu'un ami.(cf figure 3 et 4) Entre autres ils interprètent la désactivation des aires du cortex préfrontal median (Cf. figure 4 a) impliquées dans le jugement critique.

"Autrement dit, du moins selon A. Bartels et S. Zeki, les jugements portés par la mère sur son enfant, par l'amoureux sur son amoureuse, jugements qui étonnent parfois leur entourage, seraient influencés par ces désactivations cérébrales." Postel-Vinay, Olivier (2004).
Ne dit-on pas "l'amour rend aveugle " ?

L'ocytocine et la confiance

L'ocytocine augmente le sentiment de familiarité des visages : des volontaires traités à l'ocytocine par inhalation ont répondu qu'ils voudraient s'approcher de 46% des visages montrés contre 36% pour le groupe témoin. Plusieurs expériences confirment que l'ocytocine peut aussi accroitre la confiance accordée : Baumgartner, T. et al. (2008) de l'UniZH ont montré que l'ocytocine augmente la confiance et même qu'elle peut restaurer la confiance qui a été trahie. Des essais cliniques sont en cours en Australie pour établir si l'ocytocine peut aider des thérapies de couple. Swissinfo en parle en des termes assez généraux : Commentaire général (An) et les journaux gratuits en font un thème à sensation (Un médic' contre les scènes de ménage ? 20-minutes 9 XII08 | Intranet.jpg)

Enjeux de société

Young prédit que des Philtres d'amour nouveaux seront bientôt sur le marché. Il semble qu'on trouve déjà de tels produits comme Enhanced Liquid Trust. Il ne serait pour Young pas plus utile qu'un placebo mais l'accroissement de la confiance en soi peut faire des miracles... I parait cependant possible qu'un jour proche on puisse glisser dans votre boisson un dosage adéquat de molécules qui vous rende amoureux immédiatement... Est-ce la promesse d'un bonheur ou d'un problème ? D'autre part Young suggère qu'on explore les effets des antidépresseurs et du Viagra sur le circuit de l'ocytocine... Enfin la possibilité de tester quelle variante d'un gène particulier possède un partenaire potentiel pour savoir s'il est volage ou déterminer sa propension à s'impliquer est troublante... Et de modifier le degré d'expression d'un gène pourrait modifier profondément la manière dont on choisit son partanaire.
Va-t-on bientôt voir des annonces dansa ce genre :
JH 43, bonne situation, sérieux (AVPR1A allèle stable), sportif, cherche JF mince, non-fumeuse, aimante, ....

Finalement: l'amour, poésie ou gènes et molécules, pourquoi opposer ?

Au fond pourquoi faut-il opposer une compréhension des mécanismes et la poésie ou la beauté ? Lever un voile sur le mystère est-ce forcément s'éloigner de la beauté ? L'ignorance est-elle plus belle que la compréhension ? Denis Duboule de l'UniGe sous-titrait un article dans Science Endless Forms Most Beautiful" (Duboule, D., 2005) D'abord, on pourrait argumenter que plus on connait, plus on se rend compte de ce qu'on ne sait pas... ( hoc unum sci me nihil scire Socrate trad. en latin) aussi le mystère s'accroit-il avec la connaissance ! D'un autre côté nombreux sont ceux qui voient une beauté en plus dans chaque étape vers la compréhension des mécanismes complexes qui vous permettent d'aimer...
"Au cours de notre voyage, nous avons pris conscience de l’immensité de ce qu’il nous reste à découvrir tout en apprenant à nous émerveiller de ce que nous savons et de ce que nous ne savons pas. "(UNESCO, 2001).

Pour en savoir plus...

Sources :

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